Ayant pour thème « Le numérique dans la formation initiale et continue des professionnels de santé », la troisième table ronde s’est distinguée par la qualité des interventions ainsi que par l’interactivité et l’échange entre les intervenants et la salle. Dirigée par le trio Mohsen Hassine, doyen de la Faculté de pharmacie de Monastir, Chawki Loussaïef, directeur de l’Ecole supérieure des sciences et techniques de la santé de Monastir et Mohamed Jouini, doyen de la Faculté de médecine de Tunis, cette table ronde a réuni un bon nombre de professionnels et d’intervenants dans le domaine de l’enseignement et de la formation en santé.
En réponse à la question sur l’apport du numérique dans l’apprentissage par simulation, Chadli Dziri, professeur émérite en chirurgie générale à la faculté de médecine de Tunis, a signalé que l’apprentissage par simulation fait ses preuves à condition qu’il respecte la sécurité du patient.
« Jamais la première fois sur le patient »
L’orateur a cité un exemple aux Etats-Unis en rapport avec l’effet de l’erreur humaine dans ce processus. 3% des patients, objet d’un apprentissage direct, « ont payé les pots cassés de ces erreurs », selon Pr Dziri.
Ceci dit, il faut absolument respecter les règles de base de cette pratique. Pour Chadly Dziri, la simulation a toujours sa place dans l’apprentissage, attendu qu’elle apporte plusieurs bénéfices dont notamment la réduction du risque d’erreur sur le patient, la standardisation du training avec une évaluation objective, la réduction du coût, ainsi que la garantie d’une efficacité clinique avérée.
Pour le Pr Dziri, la règle d’or qu’il faut respecter ou l’adage qu’il faut retenir, c’est « jamais la première fois sur le patient ».
Partant d’une expérience personnelle au sein du Centre de simulation médicale qu’il dirige, le Pr Dziri a fait savoir qu’au moment où ils ont commencé à pratiquer la simulation présentielle, une décision ministérielle de stopper ce genre de formation, due à la crise de la Covid-19, les a obligés à changer le processus de formation en question. Le défi étant de pouvoir faire le “online simulation” tout en garantissant la satisfaction de l’étudiant. C’est ainsi qu’un webinaire portant sur « De la simulation médicale réelle vers la simulation médicale virtuelle » a été organisé le 23 juillet 2020 réunissant le Pr Chadli Dziri ainsi que d’autres spécialistes de formation, pour étudier de nouvelles pistes de formation par simulation qui soient adaptées à la nouvelle donne sanitaire.
Se rendant compte que le face to face est nettement meilleur dans ce genre de formation, notamment en matière de satisfaction et de recommandations adressées aux étudiants, le Pr Dziri et ses collaborateurs étaient dans l’obligation de chercher des solutions pour améliorer ce nouveau genre d’apprentissage et ce, à travers, précise l’orateur, « l’augmentions de rétention de connaissances par le Google Forms du genre question/réponse ».  Mais ce n’est pas tout, il faut selon l’intervenant augmenter le taux de participation chez les étudiants qui ont fait montre d’un engagement et d’une adhésion exemplaires. Le résultat était satisfaisant et le score nettement meilleur au mois d’avril 2021 par rapport au mois de novembre 2020, date du début de l’année universitaire.
L’intervention du Pr Dziri était très enrichissante vu qu’elle comportait une longue démonstration portant sur la pratique de la « réalité virtuelle » où l’on parle également d’un « patient virtuel » en se basant sur des études réalisées dont l’objectif était « d’évaluer l’efficacité des patients virtuels par rapport à l’éducation traditionnelle, mêlée à l’enseignement traditionnel avec d’autres types d’éducation numérique, et des variantes de conception de patients virtuels en santé », d’après un document présenté par l’intervenant.
Pr Dziri a, à travers sa démonstration, évoqué un autre concept qui devient de plus en plus fréquent dans les blocs opératoires au service du chirurgien, à savoir la « réalité augmentée ». Il s’agit d’une technologie qui permet d’intégrer des éléments virtuels en 3D (en temps réel) au sein d’un environnement réel. Le principe étant de combiner le virtuel et le réel et donner l’illusion d’une intégration parfaite à l’utilisateur. Il est utile de rappeler dans ce sens, que la première opération chirurgicale assistée par la « réalité augmentée » a été réalisée par le Professeur Thomas Grégory, chef du service de chirurgie orthopédique de l’hôpital Avicenne AP-HP en France en décembre 2017.
L’orateur n’a pas manqué l’occasion également, de lancer un appel aux ingénieurs opérant dans le secteur de la santé : « Les médecins ont besoin de l’engineering, c’est avec vous qu’on pourra avancer, une seule main ne peut pas applaudir », souligne l’intervenant.
En guise de conclusion, Pr Chadli Dziri s’est posé la question de savoir « où on va réellement ». Pour lui, tout est possible dans ce domaine. En se référant à un exposé réalisé par un ingénieur européen, l’orateur a fini son exposé sur cette conclusion : « La simulation dans le futur doit être abordable, immersive, souple et accessible et ce, grâce à l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle, le Cloud… »
« L’enseignement en ligne solidaire Covid-19 »
Sur la même lancée, Dr Anissa Ben Amor, gynécologue et enseignante à la faculté de médecine de Tunis, a axé son exposé sur la formation médicale à distance pendant la période de la Covid-19, une pandémie qui a bouleversé toute la vie universitaire et obligé toutes les institutions universitaires à fermer leurs portes.
Dr Ben Amor est revenue dans son intervention sur le projet qui a été mis en place pour remédier à cette situation de dysfonctionnement provoquée par la pandémie. Il s’agit, précise l’oratrice, de « l’enseignement en ligne solidaire Covid-19+Faculté de médecine de Tunis ».
La faculté a veillé, à travers ce projet, « à sensibiliser ses enseignants et ses étudiants, à les pousser, les aider et les accompagner autant que possible pour garantir la continuité pédagogique lors du confinement », précise l’oratrice.
L’objectif étant de « décrire les mesures prises, pour garantir la continuité pédagogique aux premier et deuxième cycles pendant la pandémie et de diminuer l’impact négatif éventuel scientifique de la Covid-19 sur les étudiants et sur les enseignants», souligne Dr Anissa Ben Amor.
Dans ce projet, on a veillé également à respecter le principe d’équité lors de l’enseignement théorique et les stages entre les apprenants, et ce, « en adaptant les ressources au curriculum et aux besoins des externes en médecine de la faculté de médecine de Tunis ».
Avec l’avènement de la pandémie mondiale, les enseignants, fait savoir l’intervenante, ont dû changer le modèle d’enseignement. « La séance-application a été remplacée par des séances sur Google Meet en ajoutant une plateforme moodle à travers l’université virtuelle de Tunis », précise la gynécologue.
Concernant la plateforme e-learning ayant déjà vu le jour en 2018, elle a été implémentée par beaucoup de cours et ce, grâce, explique Dr Ben Amor, à l’engagement des étudiants qui ont participé fortement à l’enrichissement du contenu de cette plateforme. Le nombre de cours est passé de 25 en 2018 à 1060 cours en ligne actuellement.
Tout au long de cette période exceptionnelle, on a procédé, selon l’oratrice, au développement des compétences des enseignants de la faculté, et ce, à travers différentes actions dont notamment des ateliers de formation pour les enseignants, la formation des formateurs avec des supports pédagogiques, des réunions avec les différentes sections, des enquêtes, une collaboration avec les enseignants et les étudiants pour s’adapter à leurs besoins, etc. Des tutoriels ont été réalisés pour aider les enseignants et les étudiants à apprendre comment naviguer sur la plate-forme, comment utiliser leurs cours, etc.
Pour une agence nationale du développement professionnel continu
Focalisant sur le e-learning et la formation médicale continue, le président du Conseil national de l’Ordre des médecins Slim Ben Salah, a entamé son intervention par rappeler les principales préoccupations des médecins, à savoir « ne pas détruire ce qui existe déjà, ne pas complexifier le dispositif et impliquer toutes les professions et tous les modes d’exercice ».
Dr Ben Salah considère que « le développement professionnel continu (DPC) est un outil d’actualisation et de mise à jour des connaissances et des compétences des médecins ». Ce programme réunit, selon l’orateur, deux méthodes de formation, en l’occurrence la formation continue et l’évaluation des pratiques professionnelles. Ceci étant, la procédure comporte une identification des besoins, une formation adaptée à ces besoins et une évaluation de l’impact sur ces pratiques professionnelles.
Dr Ben Salah a appelé, pour appuyer le DPC, à la création d’une structure étatique telle qu’un organisme ou une agence nationale du développement professionnel continu (O/ANDPC). Une revendication, précise l’intervenant, qui a été présentée au temps même de l’ancien ministre de la Santé, Mondher Zenaïdi, il y a plus d’une dizaine d’années.
Les principales missions de cet organisme seraient d’évaluer des organismes et structures dispensant des formations dans le cadre du DPC, de garantir la qualité scientifique et pédagogique des actions et programmes de DPC proposés, de mesurer l’impact du DPC sur l’amélioration et l’efficience du dispositif et de participer au financement des actions de DPC pouvant être pris en charge par cet organisme.
Cet organisme ou agence dont la création est primordiale, selon Dr Ben Salah, devrait comporter plusieurs instances dont les commissions scientifiques indépendantes (CSI) composées par les médecins et par des représentants des Conseils nationaux professionnels (CNP). Ces CNP ont, d’après l’orateur, trois grandes missions qui consistent à proposer des orientations prioritaires de DPC, à définir leur parcours pluriannuel et à proposer un document permettant à chaque médecin de retracer l’ensemble des actions de DPC réalisées dans le cadre de son obligation triennale (ou quinquennale, tout dépend des décideurs).
Le médecin, quant à lui, précise Slim Ben Salah, doit satisfaire à son obligation triennale de DPC, et ce, soit se conformer au parcours de DPC de sa spécialité, soit s’engager dans une démarche d’accréditation qui vaut DPC, soit justifier d’une démarche de DPC comportant des actions de formation, d’évaluation et d’amélioration des pratiques et de gestion des risques.
Pour le programme de DPC, Ben Salah estime qu’il devrait être conforme à une orientation nationale ou régionale et comporter une des méthodes et des modalités validées par l’Instance nationale d’évaluation et d’accréditation en santé INEAS (une autorité publique indépendante qui contribue à la régulation du système de santé par la qualité et l’efficience), après avis des commissions scientifiques et être mis en œuvre par un organisme de DPC qui est enregistré auprès de l’O/ANDPC.
Ben Salah cite dans son exposé une dizaine de points forts ou d’atouts de e-learning, à savoir l’évaluation des besoins, l’accessibilité, l’attrait de l’information/formation, le potentiel d’interactions, la communication avec des personnes ressources, les soutiens technique et pédagogique, la validité scientifique du contenu (publié en ligne), la démarche évaluative, le suivi du parcours de l’apprenant et l’éthique.
Toutefois, cette pratique qui s’impose de plus en plus dans le processus de formation, a montré aussi ses limites sur certains points que Ben Salah a précisés. On peut citer par exemple le manque d’interactivité entre les participants et les enseignants, l’isolement des professionnels entraînant un risque d’abandon en cours de formation plus important, le risque de réaliser la formation dans de mauvaises conditions (bruit sur le lieu de travail, horaires tardifs, après une journée de travail…), la flexibilité, qui peut devenir un obstacle avec un risque de procrastination, et le risque de dysfonctionnement technique de la plate-forme ou des modalités de suivi.
L’inutile présence de l’enseignant
La dernière intervention au programme de cette table ronde, ayant pour titre « L’utilisation du numérique dans la formation des paramédicaux », a été présentée par Chahira Rahmani, infirmière à la Direction des soins à l’Institut Mohamed Kassab d’Orthopédie et enseignante paramédicale. L’intervenante a choisi d’entamer ses propos en posant la question suivante : « La présence de l’enseignant est-elle nécessaire ?» La réponse était négative. La présence du formateur ne s’impose plus selon Chahira Rahmani. L’apprenant, à travers le e-learning, peut avoir des modules pédagogiques: textes, présentations, vidéos, animations qui sont associés à des questionnaires, quiz, tests pour évaluation, etc.
Cette formation se fait à travers un système appelé « Learning Mangement System LMS » basé sur des plateformes permettant de créer des espaces en ligne et de gérer des activités de formation à distance.
L’oratrice a fait savoir qu’elle a profité des cours en ligne organisés par l’Université El Manar afin de former des enseignants habilités ultérieurement à assurer des cours à distance au profit des étudiants durant la période de la Covid-19. Cette formation, assure l’oratrice, lui a été fortement utile, attendu qu’elle a réussi à organiser des visioconférences avec ses étudiants. Ces visioconférences, précise l’enseignante, ont été enregistrées sur la plateforme classroom sur le web enrichie par des cours sous format PDF, power point ou des vidéos accessibles à ses étudiants. Ces derniers, en cas de difficultés de compréhensions, ont la possibilité de laisser des questions ou des commentaires auxquels elle répond grâce aux notifications qui lui apparaissent immédiatement. De même pour les rapports de stages ou tous les travaux élaborés par les étudiants et qui peuvent être introduits dans cette plateforme interactive.
L’intervenante est également revenue sur la question des jeux éducatifs qui permettent, selon ses dires, aux étudiants de stimuler leurs analyses, de réfléchir profondément, de trouver des solutions adéquates pour les problèmes auxquels ils feront face et de développer leur jugement clinique et ce, contrairement « à l’enseignement vertical où l’enseignant donne directement des instructions, des leçons et des connaissances ».

Mohamed Ali Ben Sghaïer

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *