La conférence plénière de la 7e édition du Forum international de la santé numérique a permis aux participants de s’interroger sur les enjeux, les défis et les apports de l’Intelligence artificielle dans le secteur de la santé en général et dans la médecine d’aujourd’hui et de demain.
A travers son intervention intitulée « Quel rôle pour le médecin au 21e siècle », professeur Guy Vallancien a évoqué les enjeux auxquels est désormais confronté le médecin, en particulier le généraliste, dans un contexte de transformation digitale et face à l’expansion de l’intelligence artificielle qui permet de faire le diagnostic à travers de simples applications mobiles et de petits objets connectés. Professeur Guy Vallancien s’interroge ainsi sur le rôle du médecin généraliste face au développement de l’intelligence artificielle, la montée en puissance du personnel infirmier ainsi que de celle du patient pour prendre en charge sa pathologie.
Il évoque dans ce contexte l’éventuelle disparition progressive de la clinique grâce à la précision de l’imagerie numérique dont les solutions et les équipements à l’instar de la mammographie, permettent désormais de détecter précocement les pathologies les plus graves. « Plus on fait le diagnostic à l’avance, plus on va pouvoir traiter à temps les maladies. La clinique est en train de régresser et les maladies sont de plus en plus découvertes à un stade asymptomatique », a-t-il affirmé.
En ce qui concerne la montée en puissance du personnel infirmier, professeur Guy Vallancien évoque le nouveau modèle de formation des infirmiers de première ligne (BAC+5) et qui ont l’autorisation de faire le diagnostic et de prescrire certains médicaments (antalgique, corticoïde, etc.) en cas d’urgence.
« Entre l’infirmier de première ligne et le spécialiste auxquels on peut se référer en cas d’ennui grâce à une application mobile telle que Facetime, que va t-il rester au généraliste ? » s’est-il-interrogé.
Vers la disparition du médecin généraliste
Pour faire face au péril de voir son utilité se faire négliger, Guy Vallancien considère que le médecin généraliste devrait à son tour se spécialiser. Pour le conférencier, outre le métier de médecin généraliste, certaines autres spécialités pourraient probablement disparaître un jour. Il cite dans ce contexte l’exemple du radiologue face à la révolution de l’intelligence artificielle et la précision de l’imagerie numérique. « Nous sommes des êtres inférieurs en matière de précision mais bien supérieurs en matière d’intuition, c’est ce qui nous reste. Autant l’intelligence artificielle est capable de faire beaucoup de choses, autant elle est parfois stupide. C’est nous qui l’avons créée, elle ne peut donc pas nous dépasser. Je doute fort que l’intelligence artificielle arriverait un jour au niveau de la conscience humaine et la complexité inimaginable du circuit neurologique de l’être humain, elle ne pourra pas nous dominer dans ce sens», a-t-il affirmé.
*Redistribuer les métiers et repenser les études de médecine
Par ailleurs, le conférencier a noté que si l’intelligence artificielle ne cesse de gagner du terrain en matière de médecine en faisant usage des télémanipulateurs et des robots pour procéder à des actes médicaux, certaines spécialités sauront quand même y résister. Il cite dans ce contexte l’orthopédie et la chirurgie plastique réparatrice dont les aspects nécessitent forcément une intervention humaine.
« D’où il est nécessaire de monter le niveau de l’aide-soignante, de l’infirmier, du spécialiste, on va redistribuer complètement les métiers, nous ne pouvons plus rester dans un monde médical où le médecin ordonne de haut, fait le diagnostic et suit la thérapie », a-t-il affirmé.
Pour que le corps médical puisse résister face à l’intelligence artificielle, Vallancien considère qu’il est nécessaire de monter le niveau de l’aide-soignante, de l’infirmier, du spécialiste et de redistribuer complètement les métiers. «Arrêtons de vouloir tout diriger et tout contrôler, c’est fini, plus nous résistons, plus nous nous enfoncerons. Méfiez-vous, ne résistez pas à vouloir maintenir le diagnostic, embarquez-vous dans la collaboration avec le personnel et vous sortirez encore grands », a-t-il ajouté.
Et si les écoles de santé remplaçaient les facultés de médecine…
Réagissant aux interrogations d’Aziz El Matri sur le niveau de compatibilité de la formation académique actuelle des médecins avec les exigences du marché, le conférencier a confirmé qu’il est nécessaire de repenser les études de médecine, estimant que l’université ne prodigue pas des connaissances et n’apprend pas un métier. Pour lui, l’idéal serait de remplacer les facultés de médecine par des écoles de santé qui accueillent tout le personnel de l’aide-soignante, en passant par l’infirmier, le pharmacien, en allant au médecin avec une première année commune avant de procéder à l’orientation en fonction des choix des étudiants. Il cite dans ce contexte l’exemple du Harvard médical School aux Etats-Unis. Selon lui, il est également nécessaire d’intensifier les stages. Cette école de santé permet de former des docteurs en infirmerie, en pharmacie et offre des formations extrêmement pratiques. «Il faut qu’on apprenne le métier et non des connaissances et il faut arrêter avec la sélection des futurs médecins en fonction des moyennes et en fonction des notes scientifiques. Ces étudiants scientifiques sont généralement dans l’incapacité d’accepter l’incertitude dans le secteur de la santé, l’incertitude pourrait même les rendre malades.  On ne sélectionne pas ceux qui sont prêts à assumer les erreurs et les incertitudes. C’est pourquoi on devrait peut être aller chercher les étudiants de sciences humaines que de sciences exactes ».
Il ajoute qu’il est également nécessaire de raccourcir la formation des médecins pour que ces derniers puissent aller plus vite sur le terrain. Pour ce faire, il recommande vivement la technique de simulation qui offre aux futurs médecins des mises en scène des cas les plus rares et leur garantit donc une formation plus complémentaire. En revanche, il déconseille l’augmentation du nombre des médecins d’autant plus que les infirmiers de première ligne et les pharmaciens ont l’autorisation de prescription.
Techniser la médecine et humaniser le personnel
Répondant à l’intéraction du président du comité scientifique du forum, Ridha Kechrid, sur la liste des actes qui pourraient être pris en charge par l’intelligence artificielle et qui peuvent être confiés à des robots, le conférencier a cité la biopsie de prostate, l’hydrocèle, l’endoscopie, l’anesthésie. Il cite dans ce contexte l’exemple de la résistance du lobby anesthésiste face à la mise en place d’un robot anesthésiste aux Etats-Unis en dépit de sa performance incomparable.
Par ailleurs, réagissant à la question de Slim Ben Salah, chirurgien pédiatre et ancien président du Conseil de l’ordre des médecins, concernant la déshumanisation de l’exercice médical et le choix robotique des futurs médecins, le conférencier considère qu’il ne faut pas négliger les qualités humaines telles que la capacité d’écoute et l’empathie. Pour lui, plus on va techniser la médecine, plus on aura besoin de ces qualités humaines non seulement chez les médecins mais aussi chez tout le personnel médical et paramédical.
En ce qui concerne la question de la judiciarisation de l’exercice médical et plus particulièrement des erreurs médicales face à la diversification du personnel, Vallancien considère qu’au lieu de poursuivre le professionnel, il faut veiller à indemniser le plus rapidement possible la personne blessée à la hauteur du préjudice.
Les solutions d’e-santé pour une prise en charge optimale
La deuxième partie de la conférence plénière a été consacrée à la présentation de deux success-stories de start-up développant des solutions innovantes dans le secteur de la santé.
S’agissant de « TagamutaValley », sa CEO et co-fondatrice Dr Syrine Elaydi,  a affirmé que cette startup des technologies de la santé spécialisée dans les solutions innovantes de tests de diagnostic, d’assistance et d’analyse vise à optimiser l’expérience du patient à travers des systèmes d’exploitation et des outils qui permettent une meilleure prise en charge. Il s’agit d’aider les médecins dans le processus de prise de décision et de donner au patient la possibilité d’interagir avec un chatbot tout en mettant à sa disposition son dossier médical personnel ainsi que des consultations en ligne. Elle contribue ainsi à l’augmentation de 20% de l’accès aux médecins spécialistes et de réduire de 10% les erreurs médicales et de 25% les retards de diagnostic.
Dr Syrine Elaydi a expliqué que sa start-up a déjà réussi à sceller des partenariats avec plusieurs organismes internationaux dont Impacts partnerMadar, Ai Garage Novation City et Scan, Matc EY et Digital Health International Forum in Tunisia. Concernant les perspectives futures de « TagamutaValley », la docteure précise que son équipe se penche actuellement sur le lancement de sa propre version et sur l’expansion de la startup dans d’autres pays africains à l’horizon de 2025.
De son côté, Achraf Ben Hamadou, cofondateur et directeur d’UDINI, a précisé que fondée en 2019, UDINI est une start-up franco-tunisienne basée au technopole de Sfax. Selon lui, UDINI se veut une stratup basée sur les solutions de l’intelligence artificielle appliquées au domaine de la médecine dentaire. L’ambition, c’est de devenir leader dans ce domaine en fournissant des solutions d’intelligence artificielle pour la dentisterie tout en étant le co-pilote numérique des dentistes et de tous les intervenants dans ce domaine.
« Nous proposons une technologie basée sur l’expertise dans le domaine de la vision par ordinateur et optimisation numérique appliquée à l’imagerie médicale. Les applications que nous proposons tirent profit également des relations étroites avec le monde de la recherche académique en France et en Tunisie. Nous proposons des solutions aux éditeurs de logiciels dans la dentisterie, » a-t-il noté.
Parmi les solutions proposées, il cite Smile +. Il s’agit d’un système proposé au dentiste qui va à travers son smartphone prendre des photos intra-orales sous certains protocoles pour faire la visualisation aux patients des traitements possibles. La solution donne ainsi au patient la possibilité de voir directement en simulation en réalité directe, l’output, avant même de s’engager avec le prothésiste. Smile + constitue donc selon lui un support numérique de communication avec le laboratoire de construction de prothèses dentaires.
Concernant la rentabilité de sa start-up, Achref Ben Hamadou a affirmé que les revenus se sont multipliés par 10 en un an, passant ainsi de 27 mille euros en 2021 à 300 mille euros en 2022 grâce au nouveau model AiaaS. « On aspire à atteindre des revenus à hauteur de 1,2 million d’euros d’ici la fin de 2022 grâce à des contrats aux USA et en France principalement, » a-t-il précisé.
La conférence plénière s’est clôturée par une session de questions-réponses soulevant les interrogations posées par le parterre de professionnels du secteur. Il s’agit en particulier du gap entre les médecins de l’ancienne école et ceux d’aujourd’hui et de demain en matière d’usage des nouvelles technologies appliquées à la santé, la protection des données personnelles et l’avenir de la relation entre le patient et le médecin face à l’usage excessif de la machine et des applications mobiles en médecine. Le niveau d’acceptabilité des associations des malades de la déshumanisation de l’acte médical ainsi que l’accélération de la publication des arrêtés d’application de la télémédecine en Tunisie étaient également à l’ordre du jour.
Si les solutions innovantes appliquées au domaine de la santé contribuent largement à l’amélioration de la qualité des services de soins, elles alimentent en même temps les inquiétudes d’une bonne partie de professionnels du secteur quant à l’avenir du médecin et au risque de déshumanisation de ce corps de métier noble. La machine menace désormais la pérennité de plus d’un intervenant dans le secteur. Ces inquiétudes expliqueraient peut être ce potentiel énorme toujours sous-exploité que représente la télémédecine.

Hajer Ben Hassen

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