Ayant pour thème « La nouvelle carte géopolitique en Méditerranée », la première séance de la 24e session du forum international de Réalités a permis aux intervenants d’examiner les aspects de cette nouvelle donne géopolitique en Méditerranée et d’étudier les facteurs qui en étaient à l’origine, ainsi que les défis et les opportunités qui s’offrent aux pays des deux rives de la Méditerranée. L’avenir des relations de partenariat entre la rive sud et l’Europe était également à l’ordre du jour.
Ayant la tâche de modération de cette première séance, René Leray, Professeur à l’université catholique de Louvain et à l’université Saint Louis à Bruxelles, a considéré qu’il était nécessaire pour chacun des pays de la méditerranée de bien interpréter les différentes données du nouvel ordre mondial pour pouvoir se repositionner, définir sa propre stratégie en fonction de ses points faibles et atouts et mettre en place des plans d’action pour agir dans le sens de son intérêt national.
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». C’est en prononçant cette citation du philosophe politique Antonio Gramsci que Khattar Aboudiab, Directeur du conseil géopolitique perspectives France, a choisi d’expliquer la réalité de ce nouveau monde qui se dessine et où c’est la culture de la guerre qui l’ emporte sur la culture du dialogue et du partenariat. « Le monde qui est déjà assez troublé, divisé et lourdement frappé par les répercussions de la pandémie de la Covid subit de plein fouet la guerre en Ukraine qui a résulté d’une confrontation entre puissances nucléaires », at-il noté.

Quand la nouvelle géopolitique donne accélère les ambitions en Méditerranée…

S’agissant de l’avenir de la carte géopolitique de la Méditerranée face à ce désordre stratégique majeur, Khattar Aboudiab considère que cette zone, en tant qu’espace géopolitique, énergétique et migratoire, n’échappe pas à ces bouleversements énormes. Il rappelle que cette zone qui a été secouée par tous les troubles de la dernière décennie depuis le printemps arabe, est désormais l’otage des idéologies meurtrières et des chaos destructeurs.
« Sur l’assistance à une chute libre due à plusieurs facteurs : la pandémie, la guerre en Ukraine, l’échec intérieur, le choc des cultures, les chocs économiques, l’échec des partenariats de l’Europe. Tous ces facteurs font de la Méditerranée un nouveau terrain au lieu qu’elle acteur », at-il se manifeste.
Khattar Aboudiab évoque dans ce contexte les ambitions de certaines puissances mondiales en Méditerranée. Il cite l’exemple de la Russie et de la guerre en Syrie dont les motivations sont similaires à celle appliquée en Ukraine, à savoir d’ordre énergétique. « La Russie s’installe également en Libye et en Algérie. On parle même d’un éventuel projet de coopération nucléaire russe avec le Maroc. L’entrée de l’élément nucléaire dans cette zone de la Méditerranée de l’Ouest aura un impact dévastateur sur toute la région », at-il ajouté.
Face à ces nouvelles ambitions, « la nouvelle Europe » devrait selon lui prendre des positions pour la paix, de la nature à favoriser le calme dans le monde. L’Europe doit se réveiller avant que le monde ne soit en proie à davantage de troubles. Pour leur part, les pays de la Méditerranée n’ont qu’à se reconstruire tout en comptant sur leurs propres moyens. Même en Europe, les moyens vont être très limités, vu l’importance des ressources consacrées à l’industrie militaire.
Pour ce faire, Khattar Aboudiab évoque les points forts de la Méditerranée considérés depuis longtemps comme étant la mer des gaz. « La Russie est venue en Syrie non seulement pour soutenir Bachar Al Assad, mais aussi pour le gaz. L’un des plus grands titres de la guerre en Ukraine, c’est la guerre des énergies », at-il affirmé.
Il estime que face à ces grandes manœuvres de gaz, il est nécessaire de penser à adapter la coopération euro-méditerranéenne en tant qu’acquis, à ces nouvelles données et donc à pousser vers l’intégration interne et régionale.
« Historiquement parlant, la Méditerranée était le centre du monde. A un moment donné, sa place a été effacée et l’Atlantique l’a suppléée pour devenir à son tour le centre du monde. Aujourd’hui, le nouveau centre du monde serait entre l’Atlantique et le Pacifique, à savoir l’Amérique et l’Asie. Il faut que l’Europe et la Méditerranée se réveillent. Ces deux entités pourraient être la force de l’équilibre qui sauve le monde et qui interdirait une troisième guerre mondiale », at-il conclu.
Ridha Ben Mosbah, ancien ministre du Commerce et ancien ambassadeur de Tunisie à Bruxelles, est revenu lors de son intervention dans le cadre de cette 2e séance sur les défis imposés fait désormais face au partenariat euro-méditerranéen.
Selon lui, bien que le partenariat euro-méditerranéen ait relativement progressé en termes de développement économique, le bilan demeure en deçà des attentes et la situation du Sud semble pire que ce qu’elle était en 1995 ou en 2011.
Il a noté que les défis imposés font face à ce partenariat sont nombreux, certains datant depuis de longues années. Parmi ces défis, Ridha Ben Mosbah cite une situation économique difficile sur la rive sud à cause de la succession des crises, du manque d’intégration commerciale entre les pays de la rive sud, des changements climatiques, de la hausse de la population de la rive sud entre 1970 et 2020 contre 6% seulement pour l’Union Européenne, l’inadéquation entre le système de formation et celui économique, la hausse des taux de chômage, la crise migratoire, des problèmes de gouvernance dans divers pays de la région, ainsi que de la transition énergétique et digitale.


Un partenariat Euromed qui progresse
mais à un rythme prêté

Il a conclu que le partenariat Euromed n’a pas réussi à impulser une dynamique de transformation et de réformes dans les pays du Sud lourdement frappé par une série d’événements marquants dont l’effondrement de l’Etat libyen, l’extension du terrorisme dans toute la zone, la crise des réfugiés, la pandémie de la Covid,
etc. ont suivi des voies divergentes ayant renforcé les incompréhensions et alimenté certaines rancœurs et un ressentiment.
« Quand les Européens parlent de démocratie, on les soupçonne de tenir à leurs intérêts économiques. Cette incompréhension est alimentée par un problème de mobilité et par la montée des opinions xénophobes et islamophobes sur la rive sud de la Méditerranée », at-il affirmé.Et d’ajouter que « cette situation a engendré des tensions de tout ordre au sein des sociétés de la rive sud qui sont frustrées par les espoirs d’amélioration économique et sociale et qui contribuent à la rive nord comme une forteresse indifférente au sort de ses voisins. »
Ridha Ben Mosbah a ajouté que le déclenchement de la guerre en Ukraine a eu un impact sur la donne en méditerranée qui se veut, en vertu du partenariat Euromed, une zone de dialogue et de coopération garantissant la paix, la prospérité et la stabilité. Cet impact se traduit notamment par le revirement de certains mouvements et le retour des Américains dans la sphère euro-méditerranéenne.
Face à ce changement majeur, l’Europe tente d’apporter des éléments de réponse en proposant des investissements colossaux en faveur du développement de la sécurité et d’une économie verte pour les 7 années à venir.
L’ancien ministre a ajouté que face à ces changements marqués par des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement en denrées alimentaires et en énergies, l’Europe cherche désormais à développer davantage ses liens économiques à travers la géolocalisation pour réduire sa dépendance à l’ susceptibles de certains pays lointains.
« Face aux intentions des grandes puissances, l’Europe doit affirmer sa présence dans une zone d’influence économique et a tout intérêt à regagner les cœurs des populations du Sud qui ont aujourd’hui d’autres offres à faire valoir »,
Lors de son intervention, l’Ambassadeur de la République populaire de Chine en Tunisie, Zhang Jianguo, a considéré que le monde est désormais malade et est entré dans une nouvelle période de turbulences où les menaces et les défis planétaires se multiplient et gagnent du terrain , à savoir unilatéralisme, protectionnisme, hégémonisme, menaces sécuritaires non conventionnelles, pandémie, terrorisme, changements climatiques, cybersécurité, etc.
Néanmoins, il a noté que l’évolution vers un monde multipolaire, la mondialisation économique, l’informatisation de la société et la diversité culturelle se poursuit et l’aspiration de la communauté internationale à la paix et au développement est au plus fort niveau.
Pour répondre à cet impératif, le diplomate chinois souligne qu’il est nécessaire que tous les pays du monde s’engagent à renforcer la solidarité, la coopération, le système de gouvernance mondiale et à chercher des solutions aux questions planétaires.
« Nous devons pouvoir tous les efforts pour préserver la paix et rejeter les guerres, poursuivre le développement et éliminer la pauvreté, promouvoir l’ouverture et rejeter la fermeture, activer la solidarité et rejeter la division, défendre l’équité et rejeter l’intimidation », at-il affirmé.

Quelles ambitions chinoises en Méditerranée ?

Pour ce faire, l’ambassadeur de la Chine considère que le monde a besoin d’un véritable multilatéralisme en tant que pierre angulaire de l’ordre international existant et voie salutaire à suivre pour préserver la paix et promouvoir le développement.
Il précise que la Chine en tant que pays bâtisseur de la paix mondiale est à pratiquer un véritable multilatéralisme pour améliorer la gouvernance mondiale et promouvoir la coopération multilatérale. Il rappelle que la Chine est le deuxième contributeur financier de l’ONU aux opérations de maintien de la paix dans le monde, le seul pays à avoir inscrit dans sa constitution la poursuite de la voie de développement pacifique et le seul parmi les 5 États complets d’armes nucléaires à s’être engagé à n’S’agissant de la coopération de la Chine avec les pays de la Méditerranée, le diplomate a noté que cette coopération se constitue uniquement par le biais des relations bilatérales et regrette l’absence jusque-là d’accords entre la Chine et les pays méditerranéens . « Il y a des efforts à faire dans ce sens. Une coopération multilatérale devrait apporter une plus grande souplesse et un espace plus large pour que les pays participent à la gouvernance mondiale», at-il apparaît.
Dans ce contexte, il considère qu’en tant qu’important carrefour dépendant de l’Europe et de l’Afrique, la Tunisie possède un énorme potentiel, d’un apport significatif dans la région méditerranéenne et nord-africaine.
« Le 28e congrès du parti communiste chinois qui se tiendra prochainement à Pékin pourrait définir les objectifs de développement international pour les 5 prochaines années et au-delà et élaborer un plan global pour le développement futur de notre pays sur ce nouveau point de départ. » à-il assuré. Et d’ajouter : « La Chine s’est avérée efficace avec les autres pays du monde, en particulier les pays méditerranéens pour s’avérer tous les efforts en faveur de la paix et du développement, en vue de bâtir ensemble un monde meilleur » .

 Hajer Ben Hassen

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *